Dans notre série : « Travailleurs de la mer», voici :
LES PÊCHEURS DE LAMES
La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs
A des reflets d'argent...
Oui. la mer a des reflets d'argent.
Mais sais-tu, poète insouciant, d'où viennent ces reflets de métal, dans la mer infinie ?... C'est le reflet des lames : les lames sans pitié, qui déferlent sur les côtes. Et ces lames, dangereux et perfides ornements de l'immensité liquide, ces lames, des hommes, chaque jour, ces lames, des hommes, chaque nuit, ces lames, des hommes les pêchent.
Le travail, c'est la santé,
Rien faire, c'est la conserver !...
Ils sont partis.
Le petit bateau, le « lamier », comme on l'appelle, a jeté l'ancré à quelques encablures des récifs.
Ouais, c'est ici qu'on trouve les plus belles lames : les bleues, celles qui sont les plus difficiles à pêcher. Tenez, regardez : ils y vont !...
Ils y vont !... Ils y vont !...
Dédaignant les lames de surface, trop minces et par trop oxydables, les pêcheurs plongent à la recherche des lames de fond et s'enfoncent dans l'Océan vert pâle.
Les courageux artisans, les lamineurs, comme on les appelle, savent, du premier coup d'il, reconnaître si une vague va pousser vers eux la lame tant espérée.
Et, tandis qu'ils attendent, la mer fredonne à leurs oreilles la célèbre Valse en Lamineur, écrite à leur intention par un romantique Polonais qui rendit Lame, il y a près d'un siècle.
Mais voici qu'un remous se produit.
Pas d'erreur : c'est bien la vague à lame.
Un geste, pour alerter ses collègues.
Il vient de crier: «Vague à lame» !... de l'eau plein la bouche. Son appel ne peut être compris que des initiés.
Voici, à présent, le moment le plus dangereux : les lames de fond se précipitent. Il s'agit de saisir le fil de chaque lame, de l'enrouler sur une bobine et de remonter, très vite, à la surface.
Là-bas, au fond de la mer, des hommes luttent.
Puis c'est le retour au port, les cales pleines de lames fraîches.
Une par une, on fait l'épreuve de leur solidité en les frappant sur un brise-lame.
Ah!... Bonne...
Bonne aussi...
Non... Pas bonne...
Bonne...
Pas bonne...
Ensuite, c'est le repassage, qui se fait à la vapeur et avec une pattemouille.
Une fois les lames repassées, c'est le premier affûtage, avec un fusil. Un coup d'un côté, un coup de l'autre, l'ouvrier chante gaiement :
Et hop!... Un p'tit coup et j' la tourne
Un second, j' la r'tourne..,
Ensuite, quand la lame est bien enfilée au fusil, ils l'affûtent en l'air !...
Voilà le travail pénible des pêcheurs de lames !... Labeur ingrat et pas toujours rémunérateur. En effet, combien de resquilleurs ont trop souvent la lame à l'il. Et c'est injuste. Il faut payer ceux grâce à qui nous avons des lames : des lames pour couper notre viande, pour raser nos mentons, pour tailler nos tissus, la lame, ô jaloux, qui perce ton rival pour la mort !... la lame, ô poète, qui perce ton cur pour la vie.
... a percé mon cur pour la vie !...
Du même auteur que la Chasse au chagrin. Même style, même médium : la radio.
Alors ? Qui ?