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Jacques

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Tortures et bourreaux, l'oeuvre de Françoise Sironi.
* le: 14 septembre 2006, 04:25:16 *
* Modifié: 29 octobre 2006, 07:56:04 par Jacques *
C'est une gageure que de tenter de résumer les apports de Françoise Sironi, et ses années de service au Centre Georges Devereux, pour la réhabilitation psychothérapeutique des victimes de la torture.
Un livre : Bourreaux et victimes. Psychologie de la torture. Éditions O. Jacob, 1999( ou 1994 ?), résumé .
Des articles :
LES ENFANTS VICTIMES DE TORTURE ET LEURS BOURREAUX

Des citations par Bruno-Marie DUFFÉ.

Bien qu'on en parle moins, l'apport théorique est d'importance aussi. Françoise Sironi a éprouvé, et a dit, que le "coup de Freud", cela ne marche pas, c'est même pire que rien du tout, c'est une faute professionnelle contre ses patients, que l'on enfonce alors dans leur détresse et leur méfiance envers les tortionnaires et leurs complices. Contrairement aux freudiens, il faut avoir du courage, assumer les besoins de puissance protecterice dont les torturés ont besoin, prendre le parti de leurs réaction de santé, contre l'oeuvre durable du bourreau.
Voilà qui conforte l'apport théorique d'Yvan Boszormenyi-Nagy : l'éthique est au centre de la thérapeutique efficace, et la loyauté est sa valeur première.

Autres liens :
   
A quoi sert donc un bourreau ?

Voici deux liens sur des résumés du travail de Françoise Sironi :
http://www.inrp.fr/philo/mem_hist/lecture/sironi.pdf Mais hélas depuis, le lien est mort.
http://www.ethnopsychiatrie.net/actu/collegedeF.htm

La cohabitation du modèle nominaliste et essentialiste, pseudo-médical façon DSM IV et prochainement V, avec ces faits et ces travaux, ne va sans doute pas être évidente. Le plus simple va être de tout nier en bloc. En gros comme d'habitude.

Cet article est squelettique est mériterait d'être complété. Mais mieux valait ce maigre début que rien du tout.

Jacques

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Les mécanismes de destruction de l'autre, dans l'oeuvre de Françoise Sironi.
* Réponse #1 le: 20 septembre 2006, 08:00:18 *
* Modifié: 20 septembre 2006, 08:03:07 par Jacques *
Cette note de lecture nous a été proposée sur un autre site par Mathieu, que je remercie.

Les mécanismes de destruction de l'autre.

Par Françoise Sironi dans l'Empathie d'Alain Berthoz et Gérard Jorland (Odile Jacob, 2004)

Notes de synthèses : Philippe Bouokobza

Je me propose ici de répondre à trois questions :

1. A quoi sert le bourreau ?
2. Comment fabrique-t-on un bourreau ?
3. Comment combattre les constructions des bourreaux ? p.226

A quoi sert un bourreau ?


L'objectif majeur des systèmes tortionnaires et, en leur sein, la fonction du bourreau, est de produire de la déculturation en désaffiliant la personne de ses groupes d'appartenance. Déculturation, car à travers une personne singulière que l'on torture, c'est en fait son groupe d'appartenance que l'on veut atteindre : appartenance professionnelle, religieuse, ethnique, politique, sexuelle. On attaque la part collective de l'individu, celle qui le rattache à un groupe désigné comme cible par l'agresseur, en désintriquant l'articulation entre le singulier et le collectif. Quand le processus a atteint son objectif, l'individu que l'on a torturé devient toujours un sujet isolé, un sujet qui se met à part au sein des groupes d'appartenance. A travers les techniques de déculturation employées sur quelques personnes, qui sont ensuite intentionnellement relâchées, on fabrique des peurs collectives et l'on répand la terreur sur une population tout entière.  p.227
La torture est une méthode d'effraction physique et mentale. De ce fait, elle agit par attaque des cadres de pensée. Sous la torture, les repères habituels sont rapidement brouillés. La confusion mentale et la perte de repères temporels et spatiaux sont délibérément organisées.
(...) Sous la douleur et dans la confusion, on peut tout avouer. Même les crimes et délits que l'on n'a pas commis.
(...) dans beaucoup de cas, les "aveux" sont déjà rédigés à l'avance par le système tortionnaire. Cela prouve bien que dans la majorité des pays où on pratique la torture comme mode de gouvernance, le but majeur de la torture n'est pas la recherche du renseignement. L'intention première de la torture est de briser les résistants au système et de terroriser une population entière. p.229

Comment fabrique-t-on un bourreau ?

C'est par la compréhension des techniques de la fabrication de l'effraction psychique par les tortionnaires que l'on peut démonter les mécanismes de fabrication d'un bourreau.
Mais auparavant, examinons le "résultat". Les séquelles psychologiques de la torture sont généralement les mêmes, quelle que soit l'origine culturelle des patients : cauchemars, hyperméfiance, crainte d'être suivi, troubles de la concentration, de la mémoire, du sommeil, impression d'avoir été transformé, hallucinations auxquelles les patients n'adhèrent pas néanmoins, maux de tête quand ils pensent, agressivité incontrôlée, pleurs immotivés...
L'effraction psychique chez la personne qui a été torturée est due à deux types de facteurs. Premier facteur, l'influence par identification avec la théorie du persécuteur. Second facteur, l'incompréhension du patient traumatisé suite à la torture à un niveau conscient de la théorie du tortionnaire. (...) Du fait de la douleur, de la fatigue et de la terreur, des outils de pensée qui auraient permis de saisir l'intentionnalité du tortionnaire ont momentanément fait défaut sous la torture. "La pensée dans la misère est différente de la pensée intelligente" confirme le psychiatre uruguayen Marcelo Viñar (Exil et Torture, Paris, Denoël, 1989). p.230
Ce qui est atteint par l'utilisation des techniques traumatiques comme la torture, c'est la pensée, et plus exactement les contenants de la pensée. p.231
On agit sur la pensée par l'intermédiaire de marquages corporels et psychiques. Un comportement autodestructeur peut être induit par une action sur le corps. C'est le cas de la méthode par suspension, fréquemment utilisée dans tous les pays. J'ai constaté que chez les victimes de cette torture, les comportements autodestructeurs et l'autodépréciation étaient beaucoup plus fréquents et présents que chez les personnes qui n'ont pas été torturées de cette manière. Le lien réside en ceci : au bout de quelques heures de suspension, l'insupportable douleur est engendrée par le poids de vos propres organes internes. Vous souffrez de l'intérieur, c'est vous-même qui vous faites souffrir. Tel est l'engramme implanté. Sous la torture, on manipule la pensée en agissant sur le corps. p.232
La transgression des tabous culturels : afin de désintrinquer le singulier et le collectif en chacun de nous et de provoquer l'isolement d'un individu au sein d'une communauté, le système tortionnaire va mettre en scène des transgressions des tabous culturels. (...) Au Tibet, par exemple, des moines bouddhistes végétariens détenus dans un camp par les Chinois sont affectés à la cuisine et contraints de préparer et de consommer de la viande. p.234
pour contrôler les choses, il arrive que des psychologues collaborent au système tortionnaire, notamment pour élaborer des techniques d'interrogatoire et de torture efficaces. J'ai ainsi trouvé, dans un pays asiatique, un manuel d'interrogatoire de la CIA qui contient de véritables leçons de psychologie prédictive. Des médecins interviennent pendant la torture, notamment entre deux séances, pour s'assurer que la personne torturée est capable de continuer à la subir.
On ne naît pas tortionnaire, on le devient. On le devient par la construction délibérée, intentionnelle, chez le bourreau, de la perte de sa capacité d'empathie. Cette perte de la capacité d'empathie est l'aboutissement final d'un processus de désaffiliation avec le monde commun et d'affiliation à un monde résolument à part. Mais avant la coupure de cette capacité d'empathie, on a procédé à un accroissement de la connaissance et de la prédictivité des pensées d'autrui.

J'ai ainsi pu répertorier trois manières de fabriquer des bourreaux.

1. Devenir tortionnaire par initiation.

L'initiation traumatique va avoir pour but d'affilier le tortionnaire à un groupe d'appartenance fort (corps d'armée, groupuscule paramilitaire...). Pour ce faire, des techniques, traumatiques vont être utilisées. p.235
Exemple de la police politique grecque. 3 phases : 1) valorisation de l'identité initiale 2) déconstruction de l'identité initiale (les instructeurs deviennent soudain grossiers, humiliants, imprévisibles) 3) reconstruction d'une nouvelle identité. p.236

2. Des groupes culturels soumis à des processus d'acculturation violents et répétitifs

Des pays où des groupes culturels soumis à des processus d'acculturation violents et répétitifs au cours de leur histoire peuvent constituer un terreau propice à la fabrication d'acteurs de violences collectives. Une idéologie agit comme une acculturation violente, quand il n'y a plus aucun lien entre la culture d'origine et la nouvelle que l'on tente d'implanter. Cela favorise l'émergence d'êtres qui sont devenus de purs fragments de négativité. Tel est le cas des enfants soldats du Mozambique, du Sierra Leone, et des enfants devenus Khmers rouges au Cambodge. p. 237
Les  Khmers rouges ont eux-mêmes été soumis à des techniques de déculturation. Quand ils étaient enrôlés de force, généralement très jeunes, ils étaient souvent contraints de tuer un de leur parents, comme signe d'appartenance.  (...) La déculturation est méthodiquement organisée par désaffiliation avec les groupes naturels, par inversion des générations ( les enfants avaient le droit de vie et de mort sur les adultes dans les camps de détention ou de travail). p.239

3. Fabriquer un acteur de violence collective dans l'action, par l'action

Prenons l'exemple des vétérans de l'Armée rouge que j'ai traités à Perm, dans l'Oural. Trois heures avant d'attérir à Kaboul, ils apprenaient qu'ils allaient être envoyés faire la guerre en Afghanistan. La logique de guerre est la suivante : "Soit je te tue, soit tu me tues". Cette logique est en permanence réitérée au combat.
Comme pour les victimes de torture, la logique binaire est présente dans la technique de fabrication des bourreaux. Ils la mettront en oeuvre, ultérieurement, avec les personnes qu'ils torturent. Le monde est séparé en deux : il y a le propre et le sale, le dedans et le dehors. p.240

Comment effacer les constructions traumatiques du bourreau ?

Toute la théorie du système tortionnaire est inscrite dans un partie des symptômes. Les symptômes sont le révélateur de l'influence et de l'intentionnalité du tortionnaire. L'agressivité et les accès de colère incontrôlés peuvent alors être compris comme une tentative d'expulsion du tortionnaire intériorisé. (...) C'est la capacité de penser qui est attaquée, les idées, les adhésions aux groupes, communautés, mouvements divers ... Récupérer la capacité de penser, se libérer de l'agresseur intériorisé passe obligatoirement par un travail sur l'intention des agresseurs. p.243

En résumé, notre démarche thérapeutique repose sur les principes suivants :
- repérer l'influence intériorisée de l'agresseur;
- isoler le mal et cibler l'action thérapeutique sur des noyaux psychiques spécifiques;
- se positionner clairement comme allié aux côtés du patient pour combattre l'influence du bourreau;
- procéder, avec le patient, à la recherche de l'intentionnalité du tortionnaire;
- travailler sur les rêves pour passer du rêve traumatique au rêve de renaissance;
- mobiliser la violence chez le patient, ce qui va permettre d'expulser l'agresseur intériorisé. p.244

L'objectif central du travail avec des anciens combattants ou des agresseurs, c'est de casser la "désempathie". Il s'agit de restaurer la complexité des êtres et de les sortir du monde unique de la guerre pour lequel ils avaient été fabriqués. Il s'agit de les réhumaniser en les rendant accessibles à la représentation de la diversité des mondes et des intentions qui leurs sont liées. p.246

Prévention de la désempathie

Pour construire la paix, il faut défaire les constructions identitaires violentes, déconstruire l'intentionnalité des systèmes tortionnaires, retrouver et dévoiler les théories qui sous-tendent les actions et pensées destructrices, et démonter les initiations violentes. p.247